La
scierie Bertrand est la seule industrie implantée à Anse.
Son importance économique, mais aussi l'influence de ses propriétaires
et de leur famille sur la vie quotidienne et culturelle des Ansois est
considérable. Le flutiau (sifflet) de la machine à vapeur
rythme leur vie dès six heures du matin pour le premier appel
lancé à la prise du travail et en fin de chaque demi-journée.
Antoine François Bertrand premier du nom est né en 1806,
son père Jacques vient des Hautes Alpes. Il décède
en 1876. Son fils Guillaume est né en 1831 à Anse où
il meurt en 1872. Il donnera naissance en 1854, à Antoine, deuxième
du nom. Antoine petit-fils est l'homme de l'expansion de l'entreprise,
de la modernisation et du développement du négoce. En
1950, lors de ses funérailles à 96 ans, Jean Vacher, maire,
dira de lui :" Il était foncièrement bon, ne recherchant
aucun honneur pour lui. Sa discrétion dans les services rendus
dans les déboires et les misères soulagées par
ses soins, était toujours entière. Il était à
la fois méditatif et souriant ; c'était un homme d'action
qui a honoré notre petite cité et lui a donné un
exemple certain, plein d'influence sur beaucoup.
"Ses enfants : Marcelle née en 1886, Antoine Paul Claude,
troisième du nom né en 1888 et Henri né en 1899
sont issus de trois mariages. L'entreprise se nommera successivement
:
- Bertrand Père et Fils en 1826,
- Antoine Bertrand en 1872,
- Antoine et Henri Bertrand en 1920.
L'entreprise
suit le mouvement d'industrialisation de la deuxième moitié
du siècle. La première machine à vapeur est déclarée
le 24 avril 1867 à l'A.L.P.A.V.E. (Association Lyonnaise des
Propriétaires d'Appareils à Vapeur ou Electriques). Les
contrôles obligatoires seront régulièrement effectués
par cet organisme jusqu'en 1962, date de l'arrêt de la production.
La machine de marque Duverger, constructeur à Vaise, entraîne
les scies et plus tard l'alternateur qui produira le courant d'éclairage.
La cheminée de 17,5 mètres de hauteur est toujours en
place.La production sur place ne rentre que pour une faible partie dans
le négoce développé par Antoine Bertrand pendant
les quarante-huit ans durant lesquels il dirige. Les bois proviennent
de Chicago, de la Nouvelle Orléans et de l'Oregon par les ports
du Havre et de Marseille, en empruntant le bateau à voile puis
le train. Il en vient aussi du nord : Norvège et Suède
par le port de Rouen. Les producteurs d'Allemagne, d'Autriche et de
Suisse sont aussi sollicités. Toutes les régions françaises
apportent leurs bois : l'Alsace, la Côte d'Or, le Doubs, la Haute-Marne,
la Haute-Saône, le Jura, les Landes, la Meurthe et Moselle, la
Saône et Loire, les Vosges et l'Yonne, et les départements
voisins : l'Ain, l'Isère, la Loire, la Savoie, la Haute-Savoie
et bien sûre Rhône. Les clients sont nationaux, jusqu'en
Algérie et aussi internationaux avec des expéditions en
Argentine.
En
1895, la scierie est estimée à 40.000 fr. dans le contrat
d'assurance : 14.000 fr. pour les bâtiments, 24.000 fr. pour les
machines et 2.000 fr. pour le stock de bois. La compagnie ne s'engage
à couvrir que la moitié de l'estimation en cas de sinistre.
Le 31 juillet 1902, à huit heure et demi du soir, pour une cause
qui reste inconnue, la scierie brûle. Les pertes sont évaluées
à 13.897 fr. pour les bâtiments et le stock et à
20.264 fr. pour le matériel. L'indemnisation, conformément
au contrat, tiendra compte de la moitié des dégâts.
Le 10 septembre 1902, l'ingénieur J. Fournier de Lyon dresse
les plans d'installation d'une nouvelle machine à vapeur et de
sa chaudière. Arrive la guerre de 1914. La réquisition
des hommes et des chevaux entraîne une pénurie de main
d'oeuvre et l'embauche de quelques italiens.
Le
négoce est aussi victime du manque de transport, les voituriers
sont introuvables, ils sont tous mobilisés, les trains réservés
aux transports militaires. C'est la quête permanente pour obtenir
des sursis pour les hommes et des bons de priorité pour les marchandises.
En 1929, un terrible incendie détruit les bâtiments d'exploitation.
Une scie est installée provisoirement dans les hangars situés
de l'autre côté de la rue Bussardy. La machine à
vapeur n'a pas trop souffert. La charpente est reconstruite en métal.
Les nouvelles machines sont installées par la firme Socolest
de Strasbourg.